· 

Lettre aux confinés

Ce n'est peut-être pas le lieu, ni le moment, ni judicieux, de livrer ici ces réflexions très personnelles. Tant pis, tant mieux, chacun en pensera ce qu'il voudra. :)

Lettre aux confinés

Alors oui, c’est bien ! Nous avons du temps, cette denrée si rare, qu’on se plaignait de voir filer à toute allure, voilà que nous pouvons en faire un usage quasi immodéré.

Nous pouvons récurer la maison du sol au plafond, mais la poussière d’une existence confinée se dépose aussi vite qu’on l’élimine. Et nous pouvons à l’infini en chasser la grisaille, elle pose chaque jour son voile gris sur nos espoirs.

Nous pouvons relire ou lire l’intégrale de Proust, Balzac, Voltaire ou Victor Hugo, mais les mots s’ils ne peuvent s’exprimer dans nos actes finiront par s’entrechoquer dans nos têtes confinées et les feront exploser.

Nous pouvons bricoler, planter, raboter, scier, mais où trouverons-nous les clous, les vis, les marteaux, les planches pour construire ? Le mot d’ordre est « Restons chez nous » et le magasin de Mr Bricolo a fermé ses portes ou bien, il se trouve à plus d’un kilomètre de nos maisons. Voilà que nos mains sont inactives et inutiles.

Nous pouvons imaginer, créer des mondes intérieurs, des notes pour égayer le silence qui s’est abattu sur nous, des mots pour comprendre nos maux, des esquisses pour nous souvenir de l’extérieur. Mais pour qui ces dessins, ces musiques, ces textes que nous ne pouvons plus partager ? L’art est une communion et le virus nous a excommunié du monde des humains.

Alors oui, il faut imaginer une autre façon de nous regrouper, d’exister.

Tranquillement à l’abri derrière mon écran, dans une maison bien trop grande pour moi seule, avec un jardin pour sentir le parfum du printemps, la caresse du vent, écouter le chant des oiseaux, ma prison est de luxe, je le sais.

Je pense à ceux qui vivent dehors, à ceux qui vivent dans les 10m² d’une chambre d’étudiant, les familles qui piétinent dans 30m² avec leurs enfants, les vieux cloîtrés dans la chambre de leur Ehpad et qui ne comprennent pas pourquoi on les abandonne, les criminels petits ou grands délinquants dont le confinement et la peur aggravent la peine, toutes ces situations bien plus graves et précaires que la mienne.

Oui, j’y pense et je veux être honnête. J’ai bien du mal à imaginer ces souffrances, car la nature humaine est ainsi faite que nous comprenons d’abord le monde à travers nos expériences personnelles. Ainsi, si j’ai touché du doigt la solitude des Ehpad et de l’enfermement en accompagnant mes parents aujourd’hui disparus, je commence seulement à ressentir dans ma chair et mon esprit, à quel point être immobile, inactif, isolé entre les mêmes murs à longueur de journée peut devenir une véritable souffrance.

On parle beaucoup de l’héroïsme des personnels soignants, de tous ceux qui en ces temps confinés, sont « dehors » et travaillent pour nous permettre de rester à la maison, à l’abri.

On parle de leur courage, de leur fatigue, des efforts incroyables qu’ils font pour nous et ils méritent nos remerciements et notre admiration.

On parle des parents obligés de se supporter, de supporter des enfants excités, fatigants, fatigués, qui doivent se montrer ingénieux pour faire face à une cohabitation forcée.
Je ne peux m’empêcher de penser que ceux qui travaillent aujourd’hui, sont boostés par l’action, le sens de leur mission, que ceux qui vivent à plusieurs même dans un espace limité, sont soutenus par les interactions, les échanges qui remplissent leurs journées. Et parce qu’ils sont en lien étroit avec les autres, ils trouvent plus facilement courage et réconfort.

A l’inverse, on ne parle pas ou si peu, de tous ceux, jeunes ou vieux, qui vivent seuls. Je veux parler de tous ceux qui n’ont plus de famille, qui n’ont pas ou peu d’amis, qui ne partagent pas la vie de leur quartier, de leur village parce qu’ils ont perdu le contact ou n’ont pas pu le créer. Ceux-là, habituellement, supportent leur isolement en sortant de chez eux. Ils vont dans les magasins, s’installent sur une terrasse, déambulent dans les villes pour croiser du monde et se sentir vivants parmi les autres, ils parcourent la nature, les sentiers, les océans pour se ressourcer et élargir leur horizon, ils fréquentent les musées, les expositions, les librairies, les lieux de spectacle pour capter l’air du monde et rentrer chez eux riches de cette nourriture intellectuelle et émotionnelle.

Mais on ne parle pas de ces solitudes, parce que la solitude est une forme d’oubli, parce qu’elle est invisible, indétectable souvent, qu’elle s’apparente au vide. La solitude n’est pas une caricature. Ce n’est pas cet homme au visage fermé qui ne dit jamais bonjour, cette femme qui ne sourit plus et regarde le monde derrière ses volets entrebâillés. La solitude se maquille comme on camoufle des rougeurs inesthétiques sur son visage. Elle parle, sourit, rit même. Elle donne le change. Alors pour tous ceux-là aussi, le confinement est une double peine.

Il n’y a pas de situations « confortables » dans le confinement que nous vivons. Il y en a de plus dramatiques que d’autres. Mais aucune n’est anodine, aucune n’est enviable, parce que chaque individu a des ressources ou des failles qui lui permettent d’affronter ou pas cette situation.

Le monde est incertain, la vie est incertaine. Les guerres, la peste, le choléra ou le corona virus révèlent nos parts d’ombre ou de lumière, d’humanité ou d’indifférence.

A nous de réfléchir et de choisir comment nous voulons vivre. C'est sans doute la question essentielle aujourd'hui.

Mais je n’ai pas de réponses à cette question.

C'est quoi l'essentiel pour vous ?

Voilà une question qui parait simple, tout le monde parle de se recentrer sur l'essentiel, mais savons-nous vraiment ce qu'est l'essentiel pour chacun de nous ?

Bien sûr, il y a la réponse immédiate qui est de dire l'essentiel c'est ma famille, mes amis. Qu'ils soient sains et saufs ! Et même, allons jusqu'à dire: "qu'ils soient heureux".

Pour moi, ce n'est pas si simple. Finalement, c'est une question qu'on ne se pose pas tous les jours, parce que "l'essentiel" lorsqu'on est dans le tourbillon de la vie, c'est faire les courses, préparer les repas, penser à payer les factures à temps, attendre le paiement de sa retraite, de son salaire pour les achats indispensables ou pour se faire un petit plaisir, prendre RV chez le dentiste, le coiffeur...tous ces gestes et ces actes quotidiens qui nous empêchent de penser, de prendre le temps de nous poser pour finalement répondre à une question essentielle pour moi:

Quel est le sens de la vie ?

Quel sens donnons-nous à notre vie ?

Car c'est bien là la question de l'essentiel ? Non ?

Face à cette situation extraordinaire qui nous confronte à nous-même, à la fragilité du monde, à la mort, moment final et inéluctable de nos vies, où est l'essentiel ?

Je n'ai pas encore la réponse, ma réponse à cette question. Juste une ébauche...liée à ma situation particulière.

 

Seule depuis longtemps, mon "essentiel" ces dernières années, fût de maintenir des objectifs, des buts, des passions pour "remplir" ma vie de solitude. Curieuse et active, ce n'était pas compliqué. J'ai rempli mon temps et mon esprit de mes passions en essayant chaque fois de les partager avec d'autres. Parce que l'essentiel est peut-être là finalement : un simple besoin de rester "en société". J'ai multiplié la création de groupe (théâtre, citoyens, écriture, voyages amicaux) pour répondre à ce besoin primaire, cette grégarité propre à l'espèce humaine.

Au final, mon "essentiel" n'est pas bousculé par la situation actuelle de confinement.
A travers tous les "posts" laissés sur ce réseau social, c'est l'essentiel que je recherche : conserver un lien avec les autres, échanger, partager pour que la vie ait un sens, pour que "ma" vie ait un sens.
La culture, les arts, la nature nous apporte évasion et consolation. Mais à moins d'avoir une nature d'ermite propre à se suffire à soi-même, seul le partage et la communication au sens de "communier avec" sont capables de donner un sens à la vie. Être avec les autres me parait ESSENTIEL.

 

 

Ecrit pendant le confinement en juin 2020

Écrire commentaire

Commentaires: 0